RDC/Transport :Les chauffeurs Yango en révolte contre un géant sans visage
Par BCD
Par les rues embouteillées de Kinshasa, une colère sourde monte. Elle vient des conducteurs, de ceux qui arpentent les artères de la ville au volant de véhicules connectés à une application mobile devenue familière : Yango. Mais derrière la promesse d’un transport urbain moderne, se cache un modèle contesté, où ni les chauffeurs ni l’État ne trouvent leur compte.
Au premier regard, Yango incarne la modernité : une interface fluide, une géolocalisation précise, des tarifs attractifs. Mais en coulisses, le géant technologique, dirigé par Eric Bemba, semble ne pas être en règle avec l’État congolais. Une situation qui inquiète les autorités congolaises autant qu’elle exaspère les partenaires de terrain.
« Yango n’a aucun papier. Ils sont dans l’illégalité la plus totale », tranche un chauffeur, qui préfère garder l’anonymat.
Un modèle insaisissable
Yango ne possède ni flotte ni garages. Tout repose sur des particuliers, qui inscrivent leurs voitures pour transporter des passagers via l’application. En échange, la société prélève 30 % de chaque course. Efficace, certes. Mais invisible aux yeux de l’administration.
Ce système rend toute régulation quasiment impossible. Le ministère des Transports, dépassé, peine à chiffrer le nombre exact de chauffeurs actifs. Résultat : pas de taxes précises, pas de fiscalité claire. L’État regarde circuler les profits sans pouvoir y toucher.
« C’est un opérateur de transport qui refuse d’en porter le nom. Ils contournent les règles au lieu de s’y conformer », déplore un expert en mobilité urbaine.
Des chauffeurs pris au piège
Entre les failles du système et la traque administrative, ce sont les chauffeurs qui trinquent. Depuis plusieurs semaines, des contrôles massifs se multiplient. En uniforme ou en civil, les agents stoppent, vérifient, verbalisent. Les amendes pleuvent : entre 200 000 et 500 000 francs congolais, pour un logo parfois invisible, ou simplement sur présomption d’activité.
« On vit la peur au ventre. Même quand on roule sans logo, on est soupçonnés », confie un conducteur croisé sur l’avenue Huilerie. Il dit avoir perdu une semaine entière de recettes en une seule journée de contrôle.
Un ras-le-bol qui devient mouvement
Face à cette pression, une riposte s’organise. Le 26 mai 2025, à 10h, les chauffeurs lanceront leur mouvement depuis Slikin Village. Une journée baptisée “Yangoman Telema” – le chauffeur Yango se lève. Le mot d’ordre : grève chaque lundi, jusqu’à ce qu’un cadre légal soit établi.
« On n’en peut plus. Si Yango ne se régularise pas, on ne pourra jamais avancer », martèle un chauffeur sur le boulevard du 30 juin.
Le mouvement se veut pacifique mais déterminé. Il marque peut-être un tournant dans les relations entre les plateformes numériques et les travailleurs du secteur informel. Car derrière le conflit, c’est tout un modèle économique qui est interrogé.
Au cœur d’un vide juridique
Le cas Yango pose une question bien plus large : comment gérer l’irruption de technologies disruptives dans un pays où les cadres légaux peinent à suivre ? Qui protège les travailleurs ? Qui veille à l’équité fiscale ? Et surtout, qui contrôle ces entreprises qui échappent aux filets de la loi ?
Le ministère des Transports est désormais face à un choix clair : imposer la transparence et une régulation adaptée, ou laisser le chaos s’installer au cœur de la mobilité urbaine.
Un test de gouvernance
Ce bras de fer dépasse la simple question du transport. Il reflète les limites d’un système administratif qui peine à encadrer l’innovation. L’affaire Yango devient un test de gouvernance : saura-t-on créer un écosystème numérique équitable, ou continuera-t-on à laisser des entreprises étrangères profiter d’un vide réglementaire au détriment des citoyens ?
En attendant, les chauffeurs tiennent bon. “Yangoman Telema” n’est pas seulement un slogan. C’est le cri d’une génération invisible qui refuse de rester à genoux.