RDC/ Politique : Les choix des Occidentaux dans la géopolitique et la stratégie internationale : de la chute de Mobutu à un possible accord minier avec le Rwanda de Paul Kagame [Tribune]

Par Frederick Lem Amisa

Depuis la chute du Maréchal Mobutu en 1997, les choix géopolitiques et stratégiques des puissances occidentales en République Démocratique du Congo (RDC) et dans la région des Grands Lacs se sont révélés complexes, souvent ambigus, et marqués par des intérêts fluctuants. Ces choix oscillent entre préoccupations humanitaires, impératifs sécuritaires et, surtout, intérêts économiques liés à l’accès aux ressources minières.

  1. L’après-Mobutu et l’instabilité régionale (1997 – début des années 2000)

Désengagement post-Guerre froide, puis réengagement prudent : Après la fin de la Guerre froide, le soutien occidental à Mobutu, jadis considéré comme un rempart contre le communisme, s’est évaporé. Sa chute a provoqué un vide politique et exacerbé les tensions dans la région, notamment à la suite du génocide rwandais de 1994. Les puissances occidentales ont peiné à formuler une stratégie claire face à la gravité de la crise.

Les guerres du Congo (1996–1997 et 1998–2003)

Ces conflits, souvent qualifiés de « première guerre mondiale africaine », ont impliqué plusieurs acteurs régionaux, notamment le Rwanda et l’Ouganda. L’Occident, tout en exprimant son inquiétude face aux violences et déplacements massifs de populations, s’est principalement limité à des soutiens diplomatiques, à des efforts de médiation et à des missions onusiennes (MONUC, puis MONUSCO), sans intervention militaire directe notable.

Promotion de la « bonne gouvernance » : Les bailleurs de fonds tels que la Banque mondiale et le FMI ont conditionné leur assistance à des réformes institutionnelles et à des processus de démocratisation. Cependant, ces initiatives ont souvent été entravées par la faiblesse structurelle de l’État congolais et la persistance de la corruption.

  1. L’ère des minerais stratégiques et la compétition économique (années 2000 à aujourd’hui)

L’attrait des ressources naturelles : La RDC regorge de minerais stratégiques (cuivre, cobalt, coltan, lithium, or, diamants) essentiels à l’industrie technologique, à la transition énergétique et aux secteurs de la défense. Cette richesse a renforcé l’intérêt des puissances occidentales.

La montée en puissance de la Chine : Pékin a fortement investi dans le secteur minier congolais, notamment à travers des accords du type « minerais contre infrastructures ». Cela a engendré une compétition géopolitique croissante avec les Occidentaux, qui cherchent désormais à regagner de l’influence dans le pays.

La traçabilité des minerais et la lutte contre les « minerais de conflit » : Face aux critiques sur l’implication des minerais dans le financement de groupes armés, plusieurs initiatives occidentales ont vu le jour pour certifier la chaîne d’approvisionnement. Toutefois, leur efficacité reste contestée.

Les intérêts américains et européens :

États-Unis : Washington renforce actuellement ses efforts pour sécuriser l’accès aux minerais critiques de la RDC, dans une logique de désengagement vis-à-vis de la Chine. Des projets d’accords dits « minerais pour la sécurité » ou « minerais pour la paix » sont à l’étude. Des acteurs privés américains, y compris soutenus par des personnalités comme Bill Gates, s’intéressent particulièrement aux gisements de lithium.

Union européenne : L’UE cherche à diversifier ses sources d’approvisionnement et à promouvoir une approche éthique de l’extraction minière.

Le cas du Rwanda :

Le rôle du Rwanda dans la déstabilisation de l’Est de la RDC, à travers son soutien présumé au M23 et son implication dans le trafic illicite de minerais, demeure une préoccupation majeure.

Certains pays, comme les États-Unis ou la France, ont dénoncé publiquement le soutien rwandais au M23. Toutefois, le Rwanda reste pour d’autres un partenaire stratégique, notamment dans le domaine sécuritaire, ce qui complique toute action coercitive.

Le projet d’un accord minier entre les États-Unis et le Rwanda, incluant potentiellement le raffinage de minerais congolais sur le sol rwandais, s’inscrit dans cette logique d’intégration régionale voulue par Washington. Cette option, pourtant controversée, est perçue par certains comme une manière de « légitimer » le rôle du Rwanda dans la chaîne de valeur minière — une démarche qui, selon de nombreux observateurs, pourrait être interprétée comme une récompense à l’agression.

  1. Une présence sécuritaire persistante mais contestée

MONUSCO : Les puissances occidentales continuent de soutenir la mission onusienne en RDC, bien que son efficacité à long terme face à l’insécurité persistante soit de plus en plus critiquée, tant par les autorités congolaises que par la population.

Aide militaire et formation : Une assistance militaire est apportée de manière sporadique, notamment via des programmes de formation. Cependant, les problèmes structurels de l’armée congolaise (FARDC) demeurent un obstacle majeur.

Diplomatie et médiation : L’Occident continue de miser sur la diplomatie, via les Nations Unies, l’Union africaine ou des initiatives bilatérales, pour tenter de résoudre les tensions régionales.

Intérêts contre morale ?

Les choix des puissances occidentales en RDC, depuis la chute de Mobutu jusqu’à aujourd’hui, témoignent d’une géopolitique fondée sur un équilibre instable entre valeurs proclamées (droits de l’homme, démocratie, paix) et intérêts stratégiques (ressources, influence, sécurité).

La volonté actuelle de signer un accord minier avec le Rwanda, dans un contexte de violences persistantes à l’est de la RDC, illustre à quel point les priorités économiques et sécuritaires peuvent supplanter les considérations éthiques. Cela n’est pas sans rappeler d’autres contradictions de la diplomatie occidentale, comme le retournement spectaculaire vis-à-vis du président syrien Bachar el-Assad, autrefois considéré comme un paria, mais récemment réintégré dans certaines arènes internationales.

Les Congolais doivent tirer des leçons claires de ces réalités : nous vivons dans un monde où les intérêts géopolitiques priment souvent sur la morale. En être conscients est une condition essentielle pour défendre efficacement nos propres intérêts, avec lucidité et stratégie.

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