RDC/Winner .Bet:Les Kinois méritent mieux qu’une loterie désespérée

Par Obed BISIDI

Dans les ruelles animées des différentes communes de Kinshasa, les points de vente Winner Bet attirent une foule innombrable. Hommes, femmes et même personnes âgées se pressent autour des écrans, feuilles de paris à la main. Chacun espère décrocher le jackpot, au risque de jouer tout ce qu’il a. Dans un pays où l’emploi manque et les moyens sont comptés, le pari sportif est devenu le dernier recours, voire une obsession. Ici, parier n’est pas un simple divertissement, mais un pari sur l’avenir, souvent le seul espoir pour subvenir aux besoins du lendemain.

Jeunes, femmes, adultes : tous accros

En très peu de temps, Winner Bet est passé d’un simple jeu de hasard à un phénomène de société. Dans les points de vente des communes populaires (Masina, Ndjili, Ngaba, Selembao), on voit chaque jour des cohortes de parieurs de tout âge. Les jeunes étudiants, débrouillards et sans emploi constituent l’essentiel des clients. Beaucoup n’ont parfois que quelques pièces en poche, mais misent ces maigres ressources dans l’espoir de gagner gros. Comme l’explique un parieur informel :
« C’est par le manque d’emplois que nous avons donné toute notre énergie à ce jeu. C’est la seule entreprise qui nous semble capable de nous générer de l’argent pour répondre à nos besoins quotidiens. »

Autre surprise : les femmes, jusqu’ici peu associées aux jeux de hasard, ont envahi les lieux. Jeunes mamans et commerçantes font désormais partie de la file devant les agents de Winner Bet sous leurs parasols. Elles expliquent souvent vouloir diversifier les revenus familiaux :
« Le pari, c’est un moyen de briser la monotonie, de prendre notre destin en main quand tout le reste échoue », confie une vendeuse ambulante que nous avons rencontré dans le quartier Matadi dans la commune de Bumbu. Parfois même, des grands-mères et des retraitées gardant sur elles quelques francs congolais destinés à l’épicerie quotidienne tentent leur chance. Dans certains cas alarmants, des parents envoient de jeunes ados jouer à leur place, espérant que la jeunesse et la chance du gamin rapportent de quoi payer le loyer ou la nourriture.

Partout à Kinshasa, la scène se répète : au bord des routes, sur les places de marché, les groupes d’amis et de voisins déchiffrent les cotes des prochains matches. Les plus optimistes affichent leur stratégie : « Avec 300 FC je peux gagner un million », assure un mécanicien croisé dans un garage dans la commune de Kasa-vubu. Pour beaucoup, miser quelques centaines de francs suffit à caresser le rêve d’un gros gain. Cette illusion d’un coup de fortune rapide pousse même ceux qui n’avaient jamais joué à tenter leur chance, craignant d’être exclus du « cercle de survie » que semble constituer ce réseau de parieurs.

L’envers du décor : pertes et galère

Derrière l’euphorie du pari, se cache une réalité sombre. Nombre de joueurs usent l’argent du repas familial, la petite économie du foyer, ou même l’argent de poche de leurs enfants. On raconte le cas de passants qui reviennent le ventre vide après avoir misé la dernière somme du marché. Les mères de famille expliquent que souvent, la nourriture du soir est sacrifiée au bénéfice d’un ticket de paris. Du côté des plus jeunes, de nombreux étudiants ou apprentis entrent dans la spirale en pariant la poche d’argent qu’on leur a donnée pour la journée. Pire encore : certains misent leurs frais de scolarité.

Le bilan financier est désastreux. Les gains éventuels, lorsque par miracle survient le bon pronostic, sont le plus souvent engloutis aussitôt par de nouveaux paris. L’argent gagné « part aussitôt dans un autre ticket », résume un observateur, et l’apprenti parieur se retrouve comme avant, parfois encore plus endetté. Les psychologues mettaient en garde : l’adrénaline du pari et l’obsession de la prochaine victoire créent une dépendance. On constate des signes de « mal à l’avoir pari » : la nervosité, l’irritabilité, l’inattention au travail ou aux études.

L’urgence de réguler

En attendant, Kinshasa continue de parier sans freins. Les autorités restent pour l’instant silencieuses, ou se contentent de discours de bonnes intentions. Pourtant, l’ampleur du phénomène crie l’urgence d’une riposte. Les observateurs réclament un encadrement strict : licences pour les opérateurs, contrôle des mineurs, campagnes de sensibilisation sur les risques de l’addiction. La captation de l’économie populaire par les sociétés de paris entraîne des dégâts sociaux considérables. Les familles endettées, les étudiants abandonnant leurs études, les vieux sans subsistance, tous paient le prix de cette folie du jeu.

En conclusion, l’État congolais ne peut plus regarder ce fléau sans réagir. À l’instar de pays voisins, il devrait mettre en place une régulation rigoureuse du secteur des paris sportifs. Cela passe par un contrôle des points de vente, l’interdiction de jouer aux mineurs, et l’affectation d’une partie des taxes au financement d’actions sociales (aide aux étudiants, création d’emplois décents). Sans cela, les rêves de fortune facile continueront de se briser sur le béton des rues de Kinshasa, tandis que des centaines de familles verront leur maigre revenu s’envoler en une poignée de tickets gagnants. Les Kinois méritent mieux qu’une loterie désespérée pour survivre : c’est désormais à leurs dirigeants d’instaurer des règles strictes pour protéger la population des pièges du jeu.

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