Monde/ Iran : Le mauvais choix géo-stratégique des Occidentaux en remplaçant le régime du Shah par les religieux [Tribune]
Par Frederick Lem Amisa
Il s’agit d’une affirmation très courante et d’un point de débat majeur concernant l’histoire de l’Iran et la politique étrangère occidentale. Analysons les implications de cette déclaration : « Iran : Le mauvais choix géo-stratégique des Occidentaux en remplaçant le régime du Shah par les religieux. » Il sied de signaler que l’Ayatollah Rouhollah Khomeini avait fait son exil en France, sous la bonne garde de l’État français, sous Giscard d’Estaing. Il rentre en Iran après la chute du Shah en 1979, par un Boeing de la compagnie française Air France.
Contexte historique :
Le régime du Shah (Mohammad Reza Pahlavi) : Le Shah était un allié clé des puissances occidentales, en particulier des États-Unis, pendant la Guerre froide. Son régime était laïc, pro-occidental et servait de rempart contre l’influence soviétique dans la région. Il jouait également un rôle significatif dans la production et l’approvisionnement en pétrole. Cependant, son règne fut aussi marqué par un autoritarisme croissant, des violations des droits de l’homme et un fossé grandissant entre les riches et les pauvres, ce qui a conduit à un mécontentement généralisé.
La Révolution iranienne (1979) : La révolution fut un phénomène complexe, mené par une coalition diverse de forces, incluant des conservateurs religieux, des gauchistes et des démocrates libéraux, tous unis par leur opposition au Shah. Finalement, l’Ayatollah Ruhollah Khomeini et sa faction islamiste ont pris le contrôle, établissant la République islamique d’Iran, un État théocratique.
L’argument du « mauvais choix géo-stratégique » :
L’affirmation sous-entend que les puissances occidentales, notamment les États-Unis, ont commis une erreur de calcul stratégique, soit en :
Sous-estimant la vulnérabilité du Shah : Les critiques soutiennent que l’Occident n’a pas suffisamment soutenu le Shah lorsque son régime s’effondrait, ou que leurs politiques ont involontairement contribué à sa chute en ne poussant pas à des réformes qui auraient pu apaiser la colère publique.
Jugeant mal la nature de l’opposition : On avance l’argument que les services de renseignement et les décideurs politiques occidentaux n’ont pas pleinement compris la force et la capacité organisationnelle de l’opposition religieuse dirigée par Khomeini, ou qu’ils ont sous-estimé le potentiel d’émergence d’une théocratie radicale et anti-occidentale.
Privilégiant les gains à court terme au détriment de la stabilité à long terme : Certains pourraient suggérer que la focalisation de l’Occident sur le maintien du Shah comme un allié stable (bien qu’autocratique) les a aveuglés face au mécontentement bouillonnant qui mènerait finalement à un résultat plus hostile et imprévisible.
Conséquences du changement :
Le remplacement du régime laïc du Shah par une théocratie islamique a eu de profondes conséquences géo-stratégiques :
Perte d’un allié clé : L’Occident a perdu un partenaire stratégique crucial dans une région vitale, ce qui a entraîné un vide de pouvoir significatif et un changement dans l’équilibre des pouvoirs régional.
Émergence d’une puissance anti-occidentale : La République islamique a adopté une position fortement anti-occidentale, en particulier anti-américaine, conduisant à des décennies d’animosité, de conflits par procuration et de préoccupations concernant la prolifération nucléaire.
Montée de l’islam politique : Le succès de la Révolution iranienne a inspiré les mouvements islamistes à travers le monde musulman, défiant les régimes laïcs existants et contribuant à l’instabilité régionale.
Impact sur les marchés pétroliers : La révolution et la guerre Iran-Irak qui a suivi ont eu un impact significatif sur les prix mondiaux du pétrole et l’approvisionnement.
Contre-arguments / Nuances :
Il est également important de considérer les contre-arguments et les nuances :
Capacité d’action limitée de l’Occident : Certains soutiennent que la capacité de l’Occident à influencer l’issue de la Révolution iranienne était limitée. La révolution était un phénomène interne iranien, motivé par des griefs profonds.
Les propres actions du Shah : L’autoritarisme du Shah et son manque de réformes démocratiques ont joué un rôle significatif dans l’aliénation de sa propre population. Même avec le soutien occidental, il est discutable s’il aurait pu maintenir le pouvoir face à une opposition aussi généralisée.
Résultats imprévisibles : La trajectoire précise de la révolution et l’émergence d’une théocratie intransigeante pourraient avoir été difficiles à prévoir entièrement à l’époque.
En conclusion, l’affirmation met en lumière une perspective largement partagée selon laquelle la Révolution iranienne, et la réponse (ou l’absence de réponse) occidentale à celle-ci, a représenté un revers géo-stratégique important pour les intérêts occidentaux. Le remplacement d’un régime laïc et pro-occidental par une théocratie anti-occidentale a indéniablement remodelé le paysage géopolitique du Moyen-Orient pour les décennies à venir. Les mêmes erreurs occidentales se répètent, car nul n’ignore que la chute de Kadhafi est à la base du terrorisme dans le Sahel et certains États de l’Afrique de l’Ouest, et celle du maréchal Mobutu a plongé la région des Grands Lacs dans un chaos sécuritaire sans précédent.